mardi 27 février 2007

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Il sortit sans dire un mot. Même pas « au revoir », rien. Peut-être était-il triste, peut-être pas. Il n’en savait fichtrement rien. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il était à la fois mal et à la fois, libéré. Il était libéré d’un poids. Celui de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour mettre un terme à cette histoire qui ne pouvait pas se terminer bien.

Bah oui, des fois, les gens se rencontrent, ils se plaisent mais ils ne se sont pas rencontrés au bon moment. Alors ça ne peut pas marcher. C’est sûr. Mais lui, bien qu’il le sache, il ne veut pas le croire. Alors il persiste, il insiste, il patiente. C’est égoïste mais il se dit qu’il a attendu assez de temps pour vivre son histoire. Alors il marche dans la rue, la tête pleine de tout et de rien.

Rupture. C’était fait. Il ne comprenait pas. Il n’était pas triste. Mieux que cela, il avait envie de passer à autre chose. Cela faisait deux semaines déjà qu’il y pensait tout en s’interdisant de le faire. Alors, à peine au bout de la rue, il téléphona. La fille qui lui avait donné son numéro décrocha. C’était étrange mais c’était bien. La discussion fut courte et facile. Ils se donnèrent rendez-vous le soir même pour vingt heures.

Quand il raccrocha, il eut cette impression de plus être tout à fait lui. Il était libre, de nouveau prêt à être heureux, prêt à donner à qui voudra bien. Il rentra chez lui en tramway. Le temps de manger un morceau vite fait, il était presque l’heure qu’il y aille. Il rappela la fille. Précision sur le lieu de rendez-vous. Vingt minutes plus tard, il était là.

Elle aussi était déjà là. Elle était habillée en bonbon italien rose, le dos nu, les cheveux attachés en arrière. Elle était jolie et même craquante comme cela. Ils partirent en marchant tous les deux. Elle lui dit que cela lui fait bizarre. Quand il lui demanda pourquoi, elle lui répondit que cela lui faisait bizarre de le voir en dehors du boulot. La remarque était anodine, pensa-t-il et il n’y prêta aucune attention. C’est vrai qu’après tout cela pouvait faire étrange.

Où aller ? Lui n’y avait pas vraiment réfléchi mais il pensa au bar où il avait été la première fois avec celle avec qui il venait de rompre. Etrange choix peut-être mais en attendant, il ne fallait pas chercher midi à quatorze heures, il aimait bien ce bar.

Ce soir-là, il n’arrêta pas de parler. Parler de lui et de ses petites misères. Il lui parla de son histoire qui venait de se terminer là, juste avant. Il savait que ce n’était pas forcément la chose à faire mais comme cela, c’était fait.

Elle lui raconta comment elle l’avait remarqué quand il venait tous les midis avec ses collègues de boulot. C’était étrange mais il paraissait un peu à l’écart et parfois même absent. Il paraissait gentil avec sa drôle de tête, chaque fois qu’il passait à la caisse. Parfois il ne disait rien ; parfois, il lançait un petit mot d’encouragement. A chaque fois, elle essayait de lui jeter un regard pour déceler la preuve d’un quelconque intérêt. Mais c’était difficile de se faire une idée.

Pour lui, il lui dit que le boulot, ce n’était pas reluisant, parfois même chiant. Tous les midis, dans le même restaurant, et puis, ce jour, où il eût cette petite nouveauté : une petite serveuse toute mignonne, toute gentille. Quand il passait régler, il essayait quand il n’avait pas trop la tête dans les nuages, de glisser un petit mot gentil et de lancer un regard à cette jeune fille. C’était comme ça, mais peut-être était-elle un peu jeune pour lui.

Après elle lui raconta que janvier, février, mars se ressemblèrent dans le scénario. Elle avait fini par le confier à une collègue. C’est sûr que cela pouvait paraître risible d’être en attente comme cela d’un tout petit rien. En plus, c’était vrai qu’elle n’était pas libre. Elle avait son mec qu’elle ne se résignait pas à quitter. Par défaut d’autre chose, par manque de courage, par peur de lui faire mal. En même temps, elle le connaissait bien dans tous ses défauts et ses qualités. Pourquoi aller voir ailleurs ? Envie d’autre chose ? Envie de sortir de cet ordinaire réglé comme du papier à musique ?

De son côté, il lui confia que mars fût une drôle d’histoire. Une sortie dans la semaine puis une petite amie en guise de cadeau d’anniversaire. Les choses de la vie se déroulent de manière inattendue des fois. Bon, il ne savait pas où il allait. Le problème, c’était que le contexte faisait que cette liaison devait rester dans le silence. C’était une volonté d’elle et lui, même s’il ne l’analysait pas comme ça, s’il le fallait, il était prêt à respecter cette règle.

Après les choses commencèrent de se rejoindre. Lui comprit bien les sentiments de la petite serveuse qu’elle était. Et elle comprit bien aussi qu’il n’était pas libre et qu’il était timide un peu comme elle.

Il lui raconta ensuite ses misères avec son ex : qu’elle ne voulait pas qu’on lui dise « je t’aime », qu’elle lui disait qu’il lui fallait du temps… Et que lui, même si tout était à l’envers de lui-même, il avait décidé d’être patient cette fois-ci.

Alors, elle lui dit qu’elle avait fini par remarquer qu’il avait maigri ces derniers mois. Il avait l’air malade et morose. Quand elle lui avait offert sa bière un midi, il ne l’avait même pas remarqué.

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